La présence de médicaments dans l'eau : y a-t-il danger pour la santé publique?

Lire et agir par Action pour la protection de la santé des femmes

Rédigé par Sharon Batt en collaboration avec Action pour la protection de la santé des femmes
Octobre 2004

 

Au cours des dix dernières années, on a détecté au Canada des traces de produits pharmaceutiques dans les lacs, les rivières, les ruisseaux et l'eau du robinet. On a également découvert d'autres produits chimiques provenant, notamment, des cosmétiques, des articles de toilette, des additifs et des médicaments vétérinaires. Tous ces produits chimiques sont regroupés sous l'appellation « PPSP », ce qui signifie les produits pharmaceutiques et produits de soins personnels. Les PPSP sont présents à l'état de traces, certes, mais les scientifiques et les décisionnaires s'inquiètent des répercussions néfastes qu'ils pourraient avoir sur la santé et l'environnement.

La présente fiche d'information fait le point sur ce nouvel enjeu en matière de santé et d'écologie. On y propose aussi des gestes que peuvent poser les particuliers, les gouvernements et les entreprises afin de renverser la vapeur.

D'où viennent les PPSP?

Les PPSP s'introduisent dans l'environnement de diverses façons :

Les timbres et les anneaux contraceptifs sont-ils inoffensifs?

La société Janssen-Ortho, qui vend le timbre contraceptif Evra, met l'accent sur le côté pratique de ce contraceptif. Or, les timbres contiennent, même après usage, une grande quantité d'une hormone synthétique persistante qui peut provoquer une féminisation des poissons mâles . Selon les instructions du fabricant, les utilisatrices peuvent jeter les timbres usagés à la poubelle, après les avoir pliés en deux. Cela n'empêche pas l'hormone de s'introduire dans l'environnement toutefois. Un endocrinologue suédois, le Dr Joakim Larsson, a effectué une étude sur le timbre contraceptif. Il se demande s'il est sage de vendre ce produit, étant donné que la pilule anticonceptionnelle est beaucoup plus écologique. En 2005, la société Organon lancera sur le marché canadien un nouveau contraceptif : le NuvaRing. Un anneau vaginal contraceptif usagé contient un tiers de plus d'estrogène que trois timbres contraceptifs (provision d'un mois) et jusqu'à six fois plus d'hormones qu'une provision d'un mois en contraceptifs oraux. Le Canada n'a toujours pas intégré à son processus d'approbation des médicaments un examen des exigences en matière d'élimination sûre ni d'étude d'impact sur l'environnement. En fait, les règlements en vigueur ne visent pas les produits pharmaceutiques; malheureusement, le nouveau projet de règlements ne sera pas adopté avant plusieurs années. Quant aux sociétés pharmaceutiques, elles semblent adapter leurs pratiques, et l'information destinée aux public, aux règlements en vigueur dans chaque pays. Si les règlements canadiens sont moins stricts que les règlements états-uniens et européens, les fabricants pourraient abaisser leurs normes pour le marché canadien.

En Amérique du Nord, des analyses ont révélé la présence dans l'eau de traces d'antibiotiques, d'analgésiques, d'anti-inflammatoires, d'hormones, de tranquillisants, d'hypocholestérolémiants, d'anti-épileptiques et de médicaments contre le cancer (chimiothérapie). On a également décelé des traces de phthalates, des produits chimiques que l'on retrouve communément dans les cosmétiques, les parfums et les produits capillaires. Quelques médicaments (les anti-épileptiques, par ex.) sont persistants, tandis que d'autres sont pseudo-persistants en ce sens qu'ils se décomposent mais sont constamment remplacés en raison de leur utilisation répandue.

Des effets considérables même à petites doses

En règle générale, les concentrations détectées dans l'eau se situent entre 20 parties par milliard et moins d'une partie par billion. Des quantités infimes, certes, mais les médicaments sont justement conçus pour agir en petites quantités. N'oublions pas l'effet cumulatif de l'exposition aux médicaments et les interactions possibles entre médicaments. Tout au long de notre vie, nous sommes quotidiennement exposés à différents PPSP. La composition de cette « soupe chimique », c'est-à-dire les types de substances et leur concentration, varie selon l'endroit où l'on habite. La plupart des composés pharmaceutiques se dissolvent dans l'eau, mais environ 30 % ne se dissolvent que dans le gras. Ils pénètrent dans les cellules et se concentrent toujours plus en gravissant la chaîne alimentaire. L'on craint aussi que la consommation sans cesse grandissante de médicaments n'accentue au fil des ans la contamination de l'environnement.

Les malformations observées dans le système reproducteur de poissons et de grenouilles montrent clairement que ces produits chimiques ne sont pas inoffensifs. Les risques pour les humains sont peu connus, mais l'on soupçonne la résistance aux antibiotiques et le dérèglement du système endocrinien (système hormonal). Selon des études récentes, l'effet délétère des produits chimiques, même une infime concentration, est plus prononcé chez les humains et d'autres organismes vivants à certaines périodes de la vie qu'à d'autres. Ainsi, un fœtus, un nourrisson ou une personne dont le système immunitaire est affaibli seraient beaucoup plus vulnérables qu'un adulte en bonne santé.

« Mieux vaut prévenir... »

Nous savons depuis longtemps qu'il faut être attentif aux signes avant-coureurs de danger si nous voulons protéger notre santé et notre environnement. C'est d'ailleurs le fondement du principe de précaution , cette approche selon laquelle l'absence de preuves scientifiques ne doit pas retarder l'adoption de mesures visant à prévenir un risque de dommages graves ou irréversibles. D'ailleurs, les malformations observées chez des organismes aquatiques montrent bien que les PPSP altèrent déjà l'écosystème dont dépendent tous les êtres vivants. Il faut agir dès maintenant afin de corriger la situation actuelle et de prévenir d'autres problèmes.

La meilleure défense contre les PPSP demeure la prévention. Nous pouvons dès maintenant implanter des programmes visant, d'une part, à réduire la surutilisation et l'abus des PPSP et, d'autre part, à f avoriser l'élimination sûre des produits inutilisés. Il est bien plus écologique et économique de prendre d e telles précautions que de chercher à extraire les PPSP une fois qu'ils sont déjà présents dans l'eau. D'autres stratégies, dont l'amélioration des systèmes de filtration et la modification des produits, sont tout aussi importantes, mais exigent plus de temps et de ressources.

Le gouvernement nous protège-t-il vraiment?

Le gouvernement canadien a mis sur pied l'Initiative sur l'impact environnemental, qui a pour objectif d'étudier les effets des PPSP sur la santé et l'environnement. L e projet comprend trois volets : 1) recherche scientifique; 2) éducation publique; et 3) le Règlement sur l'évaluation environnementale (REE). Mais l'élaboration du REE avance à pas de tortue; aussi est-il peu probable qu'il entre en vigueur au cours des prochaines années. Action pour la protection de la santé des femmes estime que le gouvernement devrait non seulement accélérer l'adoption du règlement, mais aussi transformer le programme actuel, limité aux évaluations toxicologiques, en un vaste programme holistique (le concept de la « pharmacie verte »). Cette démarche met l'accent sur l'utilisation réduite des médicaments et des PPSP. Cette stratégie de prévention repose sur les éléments suivants : promouvoir de saines habitudes alimentaires comme moyen de prévenir la maladie; substituer des approches complémentaires et parallèles non polluantes aux traitements conventionnels; resserrer l'interdiction de la publicité directe aux consommateurs au Canada; et offrir de l'information objective sur les médicaments d'ordonnance avec l'aide financière de l'État. APSF a également exhorté le gouvernement à intégrer une analyse fondée sur les sexes aux programmes d'élaboration des politiques (voir « Les femmes et les PPSP » ci-dessous).

À l'heure actuelle, seules la Colombie-Britannique, l'Alberta et la Saskatchewan ont mis en œuvre des programmes de récupération des médicaments inutilisés. Les autres provinces devraient leur emboîter le pas. L'Association nationale des organismes de réglementation de la pharmacie (ANORP) est un chef de file dans ce dossier, mais la réussite de ces programmes dépend de l'appui de l'industrie, des associations médicales et des gouvernements fédéral et provinciaux.

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Les femmes et les PPSP

Les femmes entretiennent un rapport étroit avec les PPSP. En raison d'influences culturelles, ce sont souvent elles qui, dans le contexte familial, veillent à la santé des leurs et s'occupent notamment de l'achat des médicaments et des aliments, de la préparation des aliments, de l'hygiène de la famille, du soin des malades et de l'élimination des produits domestiques. Selon une étude menée auprès de Canadiens et de Canadiennes, les femmes sont plus nombreuses à jeter les médicaments non voulus dans la toilette ou le lavabo. Ce geste dénote plus leur volonté de protéger leurs enfants qu'un manque de respect à l'égard de l'environnement. La même étude révèle d'ailleurs que les femmes sont plus intéressées que les hommes à en savoir davantage sur l'élimination sécuritaire des médicaments et à prendre les mesures nécessaires, même si cela présente des inconvénients.

De nombreux médicaments sont davantage prescrits aux femmes qu'aux hommes (les antidépresseurs, par ex.); d'autres sont liés au sexe (les contraceptifs et l'hormonothérapie de substitution, par ex.). Par ailleurs, les campagnes publicitaires des sociétés pharmaceutiques ciblent également les femmes pour accroître l'utilisation des médicaments actuels (exemple : la promotion des antidépresseurs pour soigner les « troubles de l'humeur »).

Les femmes sont les principales utilisatrices des produits de soins personnels, qu'il s'agisse de parfums, de cosmétiques ou de produits capillaires. On a détecté dans l'eau potable deux des ingrédients qui entrent dans la fabrication de ces produits : le musc synthétique (présent dans les parfums) et la classe de produits chimiques nommés phthalates. Des études effectuées sur des animaux ont révélé que les phthalates sont liés à des malformations congénitales permanentes du système reproducteur mâle.

En raison des différences biologiques entre les sexes, les femmes et les hommes ne présentent pas les mêmes vulnérabilités aux produits chimiques. Pensons à la grossesse, par exemple. Une quantité infime d'un médicament pris par une femme enceinte à un moment donné du développement fœtal peut causer des malformations, le cancer et des problèmes cognitifs subtils. Et selon certains spécialistes, aucune dose d'hormones synthétiques n'est sécuritaire pour le développement de l'embryon et du fœtus.

Enfin, les femmes présentent plus souvent des réactions indésirables aux médicaments que les hommes. Cela s'explique, en partie, par le fait qu'elles prennent davantage de médicaments que les hommes. Aux États-Unis, un rapport du gouvernement conclut que des risques plus grands pour la santé des femmes sont peut-être attribuables à des différences physiologiques, dont la taille et le métabolisme, lesquelles se traduisent chez elles par une vulnérabilité différentielle à certains risques liés aux médicaments.

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