La transparence et le processus d’approbation des médicaments de Santé Canada 1

Mémoire d’Action pour la protection de la santé des femmes

Mars 2006

L’enjeu

Le processus d’approbation des médicaments sur ordonnance du Canada manque de transparence. Une grande partie, sinon la plupart, de l’information remise à Santé Canada dans le cadre du processus d’approbation des médicaments est traitée comme confidentielle. Une telle confidentialité va directement à l’encontre de l’intérêt public. Ce manque de transparence peut mener à une consommation de médicaments inappropriée, inutile et parfois dangereuse. De plus, il empêche le développement des connaissances et une prise de décision appropriée.

Les groupes de défense des consommateurs, les organismes médicaux et scientifiques (dont le Comité consultatif scientifique de Santé Canada), les médias et au moins un comité permanent du Parlement canadien ont critiqué le refus de Santé Canada de mettre dans le domaine public les données qu’il reçoit dans le cadre du processus d’approbation des médicaments. Santé Canada s’est déclaré en faveur du principe d’une plus grande transparence, mais les mesures prises jusqu’à présent pour y arriver sont inadéquates.

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Politiques et pratiques actuelles du gouvernement du Canada

Pour obtenir la permission de vendre un médicament au Canada, un fabricant pharmaceutique doit soumettre les résultats d’essais cliniques sur des êtres humains, ainsi que des données fondamentales sur la composition chimique et les essais en laboratoire, les études animales et des renseignements sur la fabrication. Santé Canada estime que cette information appartient aux sociétés pharmaceutiques. Les chercheurs et les médias qui veulent obtenir des renseignements sur le processus d’approbation d’un médicament doivent soumettre des demandes d’accès à l’information. Santé Canada avise alors le fabricant de son intention de divulguer l’information et si ce dernier s’y objecte, il peut intenter un procès contre Santé Canada. Même lorsque le fabricant n’a pas recours à cette mesure, le processus d’accès à l’information est long et fastidieux, et la quantité d’information divulguée en vertu de la Loi est habituellement extrêmement limitée.

Des responsables de Santé Canada ont commencé à reconnaître le besoin de transparence en publiant des sommaires des motifs de décisions (SMD) 3 pour les nouveaux médicaments (dans les cas où il n’y pas déjà un médicament comparable). Les critiques ont toutefois fait remarquer que le modèle SMD ne fournit pas assez d’information pour révéler les préoccupations sécuritaires cruciales. En 2005, Santé Canada a organisé des consultations publiques au sujet du lancement d’une initiative entourant l’enregistrement et la divulgation des renseignements sur les essais cliniques (voir http://www.hc-sc.gc.ca/dhp-mps/prodpharma/activit/proj/enreg-clini-info/index_f.html). Cette initiative n'a pas encore été mise en œuvre, bien que l’on en soit à l’élaboration d’une politique, à la mise au point d’un échéancier et à la constitution d’un comité consultatif d’experts.

Entre-temps, les sociétés pharmaceutiques qui insistent sur la confidentialité au Canada sont les mêmes à participer à des audiences publiques à Washington. Il y a beaucoup plus de renseignements sur l’approbation des médicaments aux États-Unis, où le FDA diffuse sur son site Internet les résultats des essais cliniques (modifiés pour supprimer les secrets de fabrication). Bien que cette information soit en grande partie assez technique, les groupes américains de défense des consommateurs et de l'intérêt public l’analysent régulièrement et l’incorporent à leurs rapports. Les réunions des comités consultatifs d’experts de la FDA sont ouvertes au public, et tous les documents de renseignements des réunions sont rendus publics.

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Problèmes du statut quo

Qui paie le musicien… En 1994-1995, Santé Canada a introduit un système de frais d'utilisation selon lequel les sociétés pharmaceutiques défraient une portion considérable du budget de la Direction des produits thérapeutiques (51 % en 2004 alors qu’elle n’était que 20 % en 1994-1995 4). Un des dangers d’un tel modèle tient au fait qu’à la longue, on commence à penser que l’« utilisateur » est le groupe qu’il faut desservir – en l’occurrence, l’industrie et non le public. L’intérêt du public et les intérêts de l’industrie pharmaceutique ne sont pas les mêmes, et pourtant, il arrive que l'on occulte cette évidence. Un processus d’approbation des médicaments ouvert, transparent et rigoureux, avec examen du public, dissiperait en grande partie toute perception de parti pris.

Les médecins et leurs patients ne savent peut-être pas qu’ils utilisent des médicaments à des fins pour lesquelles la sécurité et l’efficacité des médicaments n’ont pas été démontrées. Les essais cliniques de médicaments sont presque entièrement (environ 90 %) conçus et financés par des sociétés pharmaceutiques. Des experts internationaux ont documenté les façons dont on peut concevoir et analyser des essais cliniques afin de produire des résultats biaisés. Certaines grandes revues médicales, qui passent leurs articles au crible de l’examen par des pairs, refusent dorénavant d’accepter pour publication des articles au sujet des essais cliniques, sauf si les essais ont été publiquement enregistrés et leurs critères identifiés au moment où les essais ont commencé. Ceci pallierait en grande partie le problème des essais non déclarés ni publiés « qui ont échoué ». Ce fut notamment le cas des sociétés pharmaceutiques qui ne publièrent pas les résultats des essais ayant révélé que l’utilisation des antidépresseurs ISRS (les inhibiteurs spécifiques du recaptage de la serotonine comme le Prozac) chez les moins de 19 ans avait des incidences d’effets nocifs (augmentation des pensées suicidaires), ou n’apportait aucun bienfait, ou n’avait qu’un bienfait très modeste comparativement à un placebo. Beaucoup de médecins n’ont pas eu accès à cette information et ils les ont prescrits à des milliers d’adolescents et d’adolescentes du Canada ainsi qu’à des enfants plus jeunes.

Bien que l’enregistrement des essais soit une initiative importante, elle ne nous donne pas un accès public aux résultats des essais cliniques. Dr Alan Bernstein, président des Instituts de recherche en santé du Canada, a observé : « Si nous voulons accélérer la mise au point de nouvelles interventions à un prix rentable, il est essentiel que nous ayons un accès public et ouvert à tous les essais et à leurs résultats. »

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L’utilisation des médicaments sur ordonnance dans la « vraie vie »

Les essais cliniques portent habituellement sur un nombre limité de personnes pendant une période de temps assez courte. Ils excluent très souvent les gens qui prennent d'autres médicaments sur ordonnance, ainsi que les personnes âgées et celles qui ont des maladies graves. Après l’autorisation de sa mise en vente, un médicament est habituellement prescrit a beaucoup plus de gens, souvent plus vieux ou plus jeunes que le groupe étroitement sélectionné ayant servi à l’essai clinique, et bon nombre de ces personnes prennent d’autres médicaments sur ordonnance. Les effets indésirables d’un médicament qui n’étaient pas apparus dans le petit groupe de l’essai clinique se manifestent souvent dans le groupe plus grand de patients de la « vraie vie ». Il est possible que la susceptibilité à ces risques ait été détectée dans les résultats des essais cliniques, affirment les experts, mais ceux-ci ne sont pas soumis à un examen public. De plus, Santé Canada ne suit pas systématiquement à l'heure actuelle – et elle n'exige pas que les entreprises le fassent – l'expérience des patients qui prennent des médicaments après leur mise en marché.

Entre-temps, on prescrit un nombre croissant de médicaments pour des utilisations non indiquées sur l’étiquette, soit des utilisations qui n’ont jamais été autorisées par Santé Canada. Les médecins peuvent le faire « comme bon leur semble ». (Prescrire des antidépresseurs ISRS à des personnes de moins 19 ans est un exemple d’une utilisation non indiquée sur l’étiquette.) Dans certains cas, Santé Canada a refusé de permettre de nouvelles utilisations pour des médicaments actuels pour des motifs de sécurité. Cette information – une demande qui a échoué – n’est pas rendue publique. Pourtant, on sait que les sociétés pharmaceutiques encouragent activement les médecins à prescrire pour des utilisations non indiquées qui sont justement celles que Santé Canada a explicitement refusé d'autoriser. La promotion de Diane 35, un médicament approuvé pour le traitement d’acné grave, et uniquement dans des conditions très précises, en est un bon exemple. Berlex, le fabricant de Diane 35, a financé un rapport distribué à des médecins du Canada affirmant que Diane 35 est un contraceptif efficace et sécuritaire. C’est ainsi que l’on impose des œillères à nos professionnels de la santé et qu’on expose inutilement leurs patients à des risques, uniquement parce que l'information sur les demandes rejetées n'est pas divulguée . 5

« Une raison centrale pour améliorer la transparence est de soumettre le système réglementaire à la discipline d’un examen public sur la qualité des règlements avant que ces derniers ne soient mis au point, et d’assurer que la priorité est accordée à une réglementation qui favorise le bien public et non les intérêts privés. » Extrait de "Protection and Precaution: Canadian Priorities for Federal Regulatory Policy - An NGO Position Paper on the proposed Government Directive on Regulating". Préparé par Hugh Benevides, Association canadienne du droit de l’environnement, déc. 2005, p.16.

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Recommandations pour corriger le problème

Le gouvernement du Canada a admis qu’il y a un manque de transparence dans notre processus d’autorisation des médicaments. Le gouvernement a également exprimé son intention de corriger le problème et Santé Canada a adopté quelques mesures limitées dans cette direction. Nous incitons vivement le gouvernement de mettre en place des mesures additionnelles pour atteindre son objectif de transparence.

  1. Santé Canada doit afficher dans son site Internet tous les essais cliniques, publiés ou non, qu’il a examinés pour approuver un médicament.

  2. Santé Canada doit publier dans son site Internet tous les rapports des évaluateurs, y compris ceux s’opposant à l’approbation.

  3. Les réunions des comités consultatifs d’experts doivent se dérouler en public et prévoir une période de commentaires du public. Toute la documentation à la disposition des comités consultatifs doit être rendue publique au moins une semaine avant la réunion.

  4. Santé Canada doit afficher les rapports complets des comités consultatifs d’experts à qui l’on a demandé de préparer un rapport sur une demande d’approbation.

  5. Santé Canada doit afficher toute l’information précédente après l’approbation d’un médicament mais avant sa mise en vente au Canada.

  6. Lorsqu’un médicament est approuvé avec un avis de conformité conditionnel 6, Santé Canada doit divulguer publiquement dans son site Internet toutes les conditions imposées sur l’approbation le jour d’émission de l’avis de conformité conditionnel.

  7. Santé Canada doit rendre public la documentation fournie par les sociétés pharmaceutiques pour satisfaire aux conditions rattachées à un avis de conformité conditionnel.

  8. Santé Canada doit divulguer tous les effets indésirables d’un médicament constatés au cours des essais cliniques.

  9. Santé Canada doit rendre public les données des essais cliniques des médicaments n’ayant pas été approuvés ainsi que celles des médicaments retirés volontairement par leur fabricant du processus d’approbation.

  10. Les frais d’utilisation ne doivent pas constituer plus de 25 % du budget de la Direction des produits thérapeutiques, le reste provenant des crédits du gouvernement. Un tel arrangement réduirait les conflits d’intérêts possibles associés au financement par l’industrie, ce qui améliorerait l’initiative de transparence.

  11. Il faut assurer qu’il n’y a pas de lien direct entre les frais d’utilisation versés par les sociétés pharmaceutiques et le processus d’approbation. Comme pour la recommandation 10, ceci diminuerait la possibilité de conflits d’intérêts et améliorerait l’initiative de transparence.

  12. Il faut assurer que toute personne participant au processus d’approbation des médicaments qui signale des méfaits est protégée contre tout préjudice et que le public est entièrement informé de tout méfait dans le processus. Il faut assurer que toute personne a le droit de signaler anonymement des méfaits directement à un organisme de surveillance dénonciateur indépendant.

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Notes

[1] Ce mémoire est tiré, en partie, d’un énoncé de position de 25 pages rédigé par Ann Silversides que l’on peut consulter à www.whp-apsf.ca.

[2] Au moment où les nouveaux médicaments sont approuvés, il y a souvent très peu d’information sur la sécurité dans les publications professionnelles. Des études précédentes ont révélé que les médecins consultent rarement les monographies des médicaments. Par conséquent, les médecins se voient obligés de fonder leur choix en matière d’ordonnances sur la documentation promotionnelle.

[3] Ces documents sont le plus souvent ajoutés au site Internet de la Direction des produits thérapeutiques cinq ou six mois après l’approbation d’un médicament.

[4] Statistiques fournies par Santé Canada.

[5] Nous admettons que certaines utilisations non indiquées sur l’étiquette sont appropriées et bien fondées. Nous ne faisons pas référence à de telles utilisations ici.

[6] Un avis de conformité conditionnel de Santé Canada signifie qu’un fabricant peut mettre en vente un médicament à condition d’entreprendre des études additionnelles pour en vérifier les bienfaits cliniques.

 

Ce mémoire a été préparé par Action pour la protection de la santé des femmes avec la collaboration d'Ann Silversides. La permission de reproduire est accordée sous réserve d’identification de la source et de diffusion gratuite.

Action pour la protection de la santé des femmes bénéficie d’un soutien financier du Programme de contribution pour la santé des femmes, Bureau pour la santé des femmes et l’analyse comparative entre les sexes, Santé Canada. Les opinions exprimées dans ce document ne représentent pas nécessairement les opinions du Bureau pour la santé des femmes et l’analyse comparative entre les sexes, Santé Canada.

 

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