LA BOUCLE BOUCLÉE : LES MÉDICAMENTS, l’ENVIRONNEMENT ET NOTRE SANTÉ

par Sharon Batt, pour Action pour la protection de la santé des femmes1
27 juillet 2003

 

INTRODUCTION

Depuis le milieu des années 1990, les médias ont alerté le public en rapportant que la « présence de médicaments dans l’eau » pourrait constituer un risque pour la santé publique2. On avait détecté des traces de produits pharmaceutiques dans les lacs, les rivières, les ruisseaux et l’eau du robinet. D’autres produits chimiques d’origine alimentaire et pharmaceutique, notamment des additifs et des articles de toilette, avaient également été découverts, tout comme des produits chimiques vétérinaires et agricoles. Les nouveaux produits issus de la biologie, des thérapies génétiques et des organismes génétiquement modifiés (OGM) pourraient un jour se retrouver dans cette « soupe chimique ». Si leurs conséquences sur la santé humaine demeurent inconnues, les malformations observées dans le système reproducteur d’organismes aquatiques montrent clairement que certains produits chimiques contaminant l’environnement ne sont pas inoffensifs, malgré les très faibles concentrations détectées3.

Cette réalité nous oblige donc à revoir notre rapport avec les produits pharmaceutiques et les produits de soins personnels. La prise d’un médicament n’est pas simplement une décision personnelle, dont l’incidence se limite à l’individu. Les produits pharmaceutiques altèrent l’écosystème dont dépendent tous les êtres vivants et, loin de disparaître de l’environnement après leur utilisation, ils font une boucle complète. Éliminés dans les cours d’eau, ils nous reviennent dans l’eau du robinet et dans les aliments.

Dans le présent document de travail, nous examinons cette forme négligée de contamination environnementale du point de vue de la santé publique, en accordant une attention particulière à la santé des femmes. Notre analyse s’intéresse au projet de Règlement sur l’évaluation environnementale (REE), une initiative du gouvernement fédéral conçue pour protéger la santé des Canadiens et leur écosystème contre les produits pharmaceutiques et produits de soins personnels (PPSP4). Ce sont principalement les femmes qui utilisent les PPSP, dont des médicaments, des produits de beauté et d’hygiène personnelle. Au sein de la famille, ce sont elles, bien souvent, qui achètent ces produits, voient à leur utilisation et s’occupent de les éliminer. Dès lors, la modification des habitudes d’achat, d’utilisation et d’élimination doit nécessairement passer par la pleine participation des femmes à l’examen des politiques, à la prise de décisions et à la mise en œuvre des solutions.

Nous affirmons ici que la stratégie la plus rentable et la plus favorable pour la santé de tous demeure la prévention  : réduire les mauvais usages, la surutilisation et l’abus des produits pharmaceutiques se traduira par une amélioration de la santé et une économie de coûts. Dans le même ordre d’idées, il est plus écologique et économique de réduire l’énorme quantité de médicaments inutilisés et d’éliminer en toute sécurité d’inévitables excès de médicaments que de chercher à filtrer ceux-ci dans l’eau une fois le mal fait. De telles activités en amont offrent également l’avantage d’une mise en œuvre quasi-immédiate. D’autres stratégies, dont l’amélioration des systèmes de filtration et la modification des produits, demanderont plus de temps et de ressources. Il conviendrait alors d’établir la priorité des programmes en fonction de critères tels que la toxicité et l’importance des produits, et la capacité de payer.

En septembre 2001, sous les auspices de son Bureau des affaires internationales et réglementaires, Santé Canada lançait le projet de Règlement sur l’évaluation environnementale (REE)5. Conçu pour examiner les conséquences des PPSP sur la santé et l’environnement, le projet comprend trois volets : 1) la réglementation visant à protéger l’environnement contre les PPSP; 2) un programme de recherche scientifique; et 3) les meilleures pratiques et l’éducation publique6.

Il se dégage des documents publiés dans le cadre du REE une vision qui englobe plusieurs critères définissant l’initiative de santé publique modèle. Le projet vise à interpréter la protection de la santé dans une perspective élargie, tenant compte notamment des effets néfastes sur l’environnement et sa biodiversité, ainsi que des conséquences directes sur la santé humaine7. Quant au processus décisionnel, la stratégie proposée englobera le principe de précaution, suivant lequel il est possible d’adopter des mesures de protection avant que des dommages n’aient été démontrés avec une certitude scientifique absolue8. Et dans ce cas-ci, il s’agit de prévenir plutôt que de guérir, car on reconnaît « la nécessité d’éviter de créer des polluants plutôt que d’essayer de les gérer après leur création9 ». Enfin, le gouvernement s’engageant à faire preuve d’ouverture, il invite le public à participer à la résolution du problème10.

Jusqu’ici, le travail du gouvernement n’a pas été à la hauteur des idéaux mis de l’avant. Des visages souriants de Canadiens agrémentent les documents du REE, mais le programme n’offre pas la vision « élargie » qui amènerait le public à s’engager et qui donnerait à la problématique une juste perspective. Dans un important document de travail du REE, la langue technique et le traitement juridique du cadre réglementaire empêchent les non-spécialistes de prendre part au dialogue11. Quant au programme scientifique proposé, il s’intéresse à la toxicologie et se propose de mesurer les substances et leurs effets, plutôt que d’en prévenir la pénétration dans les écosystèmes12. Le programme de recherche, hautement technique, limite les possibilités de participation publique. Les sociétés pharmaceutiques et biotechnologiques ont dominé le processus de consultation publique, comme en témoignent les principales préoccupations des participants : selon ces derniers, la réglementation va ralentir l’introduction de nouveaux produits sur le marché canadien et nuire au commerce international13. La pertinence des règlements proposés pour la protection de la santé et de l’environnement, le soi-disant but de l’exercice, n’a même pas été mentionnée.

 

LE PROBLÈME EN CONTEXTE

Si les initiatives de prévention sont plutôt récentes, les produits pharmaceutiques, eux, se retrouvent fort probablement dans l’environnement depuis qu’ils sont commercialisés14. Une étude scientifique phare, publiée en 1976, révélait la présence de médicaments dans les eaux usées de la ville de Kansas. Pendant une quinzaine d’années, l’étude a suscité peu d’intérêt jusqu’au jour où, en Allemagne, des chercheurs analysant des contaminants aquatiques découvrirent par hasard de l’acide clofibrique utilisé dans les hypocholestérolémiants. D’autres recherches européennes ont montré la présence d’acide clofibrique dans les principaux cours d’eau d’Europe et dans l’eau du robinet de Berlin15. Au Canada et aux États-Unis, des analyses ont montré que les cours d’eau nord-américains contiennent des traces d’antibiotiques, d’analgésiques, d’anti-inflammatoires, d’hormones, de tranquillisants et de médicaments contre le cancer (chimiothérapie), l’épilepsie et le cholestérol sanguin. De même, on a trouvé des traces de médicaments dans l’eau de robinet de certaines communautés canadiennes.

En tant que consommateurs, nous excrétons les PPSP dans les eaux usées, nous jetons les médicaments inutilisés dans la toilette ou l’évier, et nous rinçons les savons, shampoings et autres produits cosmétiques dans la baignoire. Même de façon posthume, les médicaments consommés à la maison pendant notre vie aboutissent vraisemblablement dans les cimetières et les eaux de surface16. Il est fort probable que les traces de polluants relevés dans l’environnement proviennent majoritairement des consommateurs, mais les données disponibles sont insuffisantes pour établir l’importance des sources17. Aux consommateurs s’ajoutent les sources suivantes : hôpitaux et établissements de soins de longue durée, médicaments vétérinaires (dont de grandes quantités d’antibiotiques), boues d’épuration contaminées par des médicaments et vendues comme fertilisants agricoles, et déchets industriels.

En règle générale, les concentrations détectées dans l’eau se situent entre 20 parties par milliard et moins d’une partie par billion; cependant, les médicaments sont censés agir en faible quantité. L’exposition chronique à de faibles doses de multiples substances bioactives risque d’avoir un effet délétère sur certains organismes18. Quelques médicaments (ex., les antiépileptiques) sont persistants, d’autres sont pseudo-persitants en ce sens qu’ils se décomposent mais sont constamment remplacés en raison de leur utilisation répandue19. La plupart des composés pharmaceutiques se dissolvent dans l’eau, mais 30 % environ se dissolvent dans le gras seulement. Ils pénètrent dans les cellules et se concentrent toujours plus en gravissant la chaîne alimentaire. Les risques pour les organismes aquatiques et les humains sont peu connus, mais l’on soupçonne l’antibiorésistance et le dérèglement du système endocrinien.

 

LES PRODUITS DE SANTÉ ET LA POLLUTION ENVIRONNEMENTALE :
LA PERSPECTIVE DES FEMMES

La contamination de l’écosystème par les PPSP est potentiellement dommageable pour la flore et la faune, le poisson et la volaille, les hommes et les femmes. Les femmes ont un rapport particulier avec les PPSP. Pour que les politiques destinées à stopper cette forme de pollution soient efficaces, il faut tenir compte des différences entre les sexes, tant au plan culturel que biologique.

Achat, consommation et élimination selon les sexes. En raison d’influences culturelles, ce sont souvent les femmes qui, dans le contexte familial, veillent à la santé des leurs et s’occupent notamment de l’achat des médicaments et des aliments, de la préparation des aliments, du soin des malades et de l’élimination des produits domestiques. Plusieurs médicaments sont liés au sexe (ex., contraceptifs, hormonothérapie de substitution), ou sont davantage prescrits aux femmes (ex., antidépresseurs). La publicité, qu’elle cible les consommateurs ou les médecins, exploite souvent l’insécurité des femmes par rapport au poids, à l’acné, aux rides, au stress, à la perte osseuse et à la dégradation des fonctions cognitives dans la vieillesse. Les sociétés pharmaceutiques ciblent également les femmes pour accroître l’utilisation des médicaments actuels et prolonger la durée des brevets, par exemple en faisant la promotion des antidépresseurs pour soigner les « troubles de l’humeur ». Ces habitudes en matière de prescription reflètent bien souvent la médicalisation inutile de la vie de femmes, à savoir la prescription de médicaments en vue de « traiter » des phénomènes naturels comme les règles, la grossesse et la ménopause20.

Les femmes sont les principales utilisatrices de cosmétiques, de parfums et de produits pour les cheveux, nombreux à contenir des phthalates, à savoir des produits chimiques qui, dans les études effectuées auprès des animaux, sont liés à des malformations congénitales permanentes du système reproducteur mâle21. Certains phthalates, ainsi que des fragrances synthétiques à base de musc et d’autres produits de toilette, ont été détectés dans l’eau potable22.

Une étude commandée par Santé Canada a montré que les femmes sont plus intéressées que les hommes à en savoir davantage sur l’élimination sécuritaire des médicaments et que les femmes étaient relativement plus nombreuses à mentionner qu’elles agiraient en fonction de cette information, même si cela présentait des inconvénients. Elles étaient aussi relativement plus nombreuses à mentionner qu’elles jetaient les médicaments non voulus dans la toilette ou le lavabo23. Les stratégies visant à réduire l’utilisation de médicaments particuliers ne seront efficaces qu’à la condition de reconnaître la dynamique des sexes à l’œuvre dans la promotion et l’utilisation des médicaments.

 

Sexe et démographie. On retrouve chez les femmes un plus grand nombre de pauvres et de personnes âgées, et il s’agit là de deux catégories démographiques particulièrement vulnérables aux PPSP. Les femmes âgées comptent pour un segment important et croissant de la population, et l’on sait que les personnes âgées consomment plus de médicaments que les jeunes, et en consomment plus souvent. Des études ont fait ressortir qu’il y a un gaspillage élevé de médicaments gériatriques, et ce, pour plusieurs raisons : de fréquentes modifications de la dose par le médecin ou la prescription d’un nouveau médicament, l’amélioration de la condition du patient, des « symptômes silencieux » qui n’incitent pas le patient à prendre le médicament, et la mortalité . On a relevé de nombreux médicaments gériatriques dans les études de suivi environnemental24. Or, les femmes âgées ont pu accumuler pendant un plus grand nombre d’années des substances bioaccumulables dans l’environnement et, compte tenu d’une immunité réduite, elles pourraient être plus vulnérables à certains effets des produits chimiques environnementaux dans l’eau. Pour ces raisons, la recherche, l’éducation et les politiques relatives à la présence de médicaments dans l’environnement doivent prendre en considération les femmes âgées.

À tout âge, il y a relativement plus de femmes pauvres que d’hommes pauvres. Pour les pauvres, les solutions techniques sont moins abordables, par exemple les filtres domestiques ou des médicaments repensés et écologiquement « propres ». Il est donc essentiel pour les chercheurs et les décideurs de reconnaître que d’éventuelles mesures correctives risquent d’accroître les disparités sociales dans la santé.

Sexe et valeurs. En tant que groupe, les femmes acceptent plus volontiers de faire un effort supplémentaire pour protéger la santé et l’environnement25. Le mouvement pour la santé des femmes et le mouvement écoféministe s’intéressent respectivement à la protection de la santé et à celle de l’environnement. L’enquête menée dans le cadre du projet REE (et citée ci-dessus) rend compte de cette différence de valeurs entre les sexes. Les femmes étaient relativement plus nombreuses que les hommes à mentionner qu’elles étaient intéressées à savoir comment disposer des produits domestiques sans nuire à l’environnement (74 % contre 66 %) et qu’elles prendraient toujours les mesures nécessaires même si celles-ci n’étaient pas pratiques (70 % contre 62 %)26. Leur engagement à l’égard de la santé et de l’environnement font d’elles des acteurs clés des programmes axés sur le changement. Dans le même ordre d’idées, il faut prendre en compte les différences de valeurs attribuables au sexe dans l’établissement de politiques telles que l’évaluation du risque et le principe de précaution. Au sein du gouvernement et de l’industrie, on trouve plus d’hommes parmi les décideurs, tandis que les femmes, souvent plus pauvres, ont moins de pouvoir politique. Quelles valeurs l’emporteront lorsqu’il s’agira de déterminer le degré de risque acceptable au sein d’une communauté? Qui décidera à quel moment les preuves scientifiques sont suffisantes pour déclencher le principe de précaution (voir plus loin dans ce texte).

Différences biologiques entre les sexes . Biologiquement, les femmes sont différemment vulnérables aux produits chimiques que les hommes à certains stades de leur vie. Pensons seulement à la grossesse. Les tragédies du diéthylstilbestrol (DES ) et de la thalidomide ont démoli le principe longtemps admis en toxicologie, voulant que ce soit la dose qui fasse le poison. Une quantité infime d’un médicament pris par une femme enceinte à un moment donné du développement fœtal peut causer des malformations, le cancer et des problèmes cognitifs subtils. On sait maintenant que le DES appartient à une classe de produits chimiques qui perturbe le système endocrinien (hormonal). Selon certains spécialistes, aucune dose d’hormones synthétiques n’est sécuritaire pour le développement de l’embryon et du fœtus27.

Pour la santé des femmes, la contamination chimique du lait maternel constitue un autre problème de contamination environnementale. On a détecté des amines aromatiques dans le lait maternel; il s’agit de composés qui entrent dans la fabrication de produits pharmaceutiques, de teintures, de mousses plastiques et de pesticides, et l’on sait qu’ils causent le cancer dans les tissus mammaires chez le rat28.

Dans leur cycle de vie, les femmes ne sont pas seulement vulnérables au moment de la grossesse et de l’allaitement. La puberté, les règles et la ménopause sont toutes le résultat de variations hormonales. Or, il semble que les cellules mammaires ne parviennent à pleine maturité qu’après une première grossesse menée à terme, et de là deviennent plus résistantes aux produits chimiques et aux rayonnements cancérigènes. La femme sans enfant est peut-être plus vulnérable aux produits cancérigènes de l’environnement que la femme d’âge et d’état de santé équivalents qui a enfanté. Par ailleurs, les femmes ont plus de tissus adipeux, en moyenne, que les hommes, si bien qu’elles stockent un plus grand nombre d’agents perturbateurs du système endocrinien. Enfin, elles présentent plus souvent des réactions indésirables aux médicaments. Aux États-Unis, un rapport du General Accounting Office conclut que des risques plus grands pour la santé des femmes sont peut-être attribuables à des différences physiologiques, lesquelles se traduisent chez elles par une vulnérabilité différentielle à certains risques liés aux médicaments29.

Il faudrait que les politiques en matière de protection de la santé protègent les membres les plus vulnérables de la société. Pour s’assurer que la réglementation et la recherche destinée à son élaboration protègent effectivement les femmes, il faut absolument intégrer aux programmes de recherche et d’établissement des politiques une analyse fondée sur les sexes30. Malgré les données montrant les dommages particuliers que les produits chimiques peuvent causer aux femmes, les normes d’innocuité des produits sont souvent établies lors d’essais cliniques réalisés auprès d’hommes blancs en santé. La recherche sur des modèles animaux mâles et sur des hommes est plus simple, car elle permet de contourner les variations hormonales – cycles menstruels, grossesse et ménopause – sur lesquelles agissent les perturbateurs endocriniens.

Les organisations qui militent pour l’accès à une eau propre dans le monde en développement ont commencé à examiner cette question sous l’angle de l’équité entre les sexes31. Si les problèmes de pauvreté et de santé sont, à bien des égards, différents dans le monde en développement et dans les pays riches, il existe néanmoins des similitudes. Dans un rapport intitulé Untapped Connections, la Women’s Environmental & Development Organization (WEDO) plaide en faveur d’une « perspective tenant compte des différences entre les sexes dans l’élaboration des politiques liées à l’eau » (p. 2). L’organisation souligne également que les engagements gouvernementaux en matière de santé et d’équité entre les sexes reposent sur « une meilleure connaissance des rôles et responsabilités des femmes et des hommes relativement à : l’accessibilité et l’utilisation de l’eau; l’assainissement et l’hygiène; la santé environnementale et la stabilité écologique; le rapport entre services publics et services privés » (p. 3). Ces principes peuvent former la base d’une stratégie globale de protection des ressources en eau et tout en favorisant les droits de la personne.

 

INQUIÉTUDES AU SUJET DU PROJET REE

Au moment de la rédaction du présent document, le programme du gouvernement canadien a principalement porté sur la recherche toxicologique, les changements réglementaires et des rencontres avec les intervenants de l’industrie en vue d’examiner les éventuelles conséquences de la réglementation sur le commerce. Les discussions avec les groupes d’intérêt public, dont des écologistes, des militants pour la santé des femmes et des consommateurs, ont été limitées. La perspective étroite adoptée par le REE néglige les stratégies examinant des mesures à court terme et ne tient pas vraiment à promouvoir une véritable stratégie préventive qui place la santé et la protection environnementale au-dessus des objectifs commerciaux et économiques.

Contrastant nettement avec l’approche du gouvernement, le Green Pharmacy Stewardship Program (programme de gestion d’une pharmacie verte) proposé par Christian Daughton, un scientifique au service de la Environmental Protection Agency des États-Unis, se veut un vaste programme holistique qui serait supervisé à la fois par le secteur de la santé et les consommateurs. Le concept de la pharmacie verte vise trois objectifs : protéger l’environnement, réduire les frais médicaux pour le consommateur et améliorer la santé des patients et des consommateurs32. En s’appuyant sur des éléments empruntés à ce document, l’analyse qui suit tente de faire la lumière sur certains aspects du REE.

 

Le Règlement d’évaluation environnementale

Le Règlement d’évaluation environnementale du gouvernement et les consultations faites auprès de l’industrie visent à combler le vide qui existe entre les politiques des ministères de la Santé et de l’Environnement. À l’heure actuelle, l’évaluation de l’innocuité des médicaments, responsabilité de Santé Canada en vertu de la Loi sur les aliments et drogues (LDA), ne porte que sur les substances consommées directement. Elle ne s’intéresse pas aux problèmes de protection de l’environnement ou de la santé entraînés par la contamination environnementale due aux PPSP. La Loi canadienne sur la protection de l’environnement (LCPE), soit le cadre réglementaire destiné à protéger l’environnement, a été adoptée en 1988 et révisée en 1999. Lors de son adoption, comme le reconnaît une présentation donnée dans le cadre du REE par le gouvernement fédéral, tant Santé Canada qu’Environnement Canada croyaient, à tort, que les substances réglementées en vertu de la Loi sur les aliments et drogues étaient exclues de la LCPE33. Avec la nouvelle réglementation proposée, les fabricants d’aliments et de médicaments, tout comme le processus d’examen de Santé Canada, seront désormais régis par la LCPE.

À l’entrée en vigueur de la réglementation, l’information et les démarchés visées par le processus d’approbation des produits de Santé Canada seront étendues aux questions environnementales34. Comme c’est actuellement le cas dans les examens, les fabricants fourniront des données pour les besoins de l’évaluation gouvernementale. Une fois la réglementation adoptée, on évaluera les produits commercialisés entre 1987 et septembre 2001 pour déterminer si l’exposition environnementale à ceux-ci constituent un danger pour l’écosystème ou la santé humaine. Le cas échéant, le REE précise que des mesures immédiates et appropriées seront prises35.

Dans des documents précédents, Action pour la protection de la santé des femmes a exprimé ses craintes au sujet des processus d’examen des médicaments de Santé Canada, notamment en ce qui concerne les conflits d’intérêt entre le gouvernement et l’industrie, la tendance inquiétante à vouloir accélérer le processus d’approbation, le secret excessif qui entoure le processus décisionnel, le manque de consultation publique et la préséance souvent observée des objectifs commerciaux du Canada sur les enjeux de protection de la santé36. Dans le prolongement du processus d’examen des médicaments, le REE héritera probablement de ces problèmes systémiques. Le REE est soumis à un cadre réglementaire qui vise à promouvoir la croissance économique en favorisant la compétitivité du Canada à l’échelle internationale. Cette stratégie fait appel à la « réglementation intelligente », laquelle est censée « contribuer à l’innovation et à la croissance économique et réduire le fardeau administratif des entreprises37 ». La réglementation intelligente consiste à établir une collaboration internationale et à harmoniser la réglementation avec les partenaires commerciaux du Canada. Action pour la protection de la santé des femmes a évalué le processus d’harmonisation internationale du point de vue de la santé des femmes38. La Stratégie canadienne en matière de biotechnologie, qui favorise un climat favorable aux investissements, au développement et à l’innovation, est également intégrée au projet REE39. Les universitaires féministes, les militants en santé et les écologistes ont critiqué l’approche mercantile et médicalisée de la santé inhérente à la Stratégie canadienne en matière de biotechnologie40.

Voici ce qu’on peut lire dans les documents consultés en vue de l’élaboration du REE : « La LDA se voulait [en 1954] une loi de protection des consommateurs en matière de sécurité, ainsi que de fraude économique, liée aux aliments, aux produits pharmaceutiques, aux cosmétiques et aux instruments médicaux41 ». Elle ne visait donc pas à promouvoir le développement industriel; mais avec l’ajout d’objectifs commerciaux au REE, il se peut fort bien que les priorités du développement commercial et économique l’emportent sur les enjeux de la santé, de l’environnement et de la publicité trompeuse. La participation des personnes qui échappent à tout conflit d’intérêt avec l’industrie est capitale.

Dans la réglementation, l’accent mis sur la toxicologie pose également problème. Daughton, dans sa proposition d’une pharmacie verte, met en doute l’utilité de tels règlements pour le contrôle des PPSP dans l’environnement. Selon lui, vouloir mesurer et réglementer les agents de stress chimiques potentiels constituent des pièges, car « l’étendue des polluants habituellement identifiés dans un échantillon environnemental ne représente qu’une portion inconnue des polluants réellement présents (possiblement très petite), et on n’en connaît pas le risque global42 ». Daughton avance également qu’il faut abandonner l’approche classique du suivi et de la réglementation des polluants (par produit individuel) à la faveur d’une approche fondée sur l’exposition cumulative probable, et ce, afin de comprendre les ramifications de classes entières de composés chimiques qui agissent selon un même mécanisme ou présentent un même résultat physiologique ou comportemental43. Selon l’auteur, toute approche qui s’appuie sur des concentrations environnementales « prévues » ne tient pas compte de trois facteurs importants : la variabilité géographique dans l’utilisation des médicaments, les sources de médicaments autres que les ventes enregistrées (ex., échantillons donnés aux médecins, ventes sur le marché noir et programmes d’aide à la prescription de médicaments), et les interactions entre agresseurs chimiques44. En mettant l’accent sur la réglementation et l’évaluation de la toxicité de médicaments et d’aliments donnés, le REE pourrait retarder des mesures concrètes en détournant l’attention et les ressources d’initiatives plus prometteuses.

Dans les documents du REE, il n’est fait aucune mention d’autres outils réglementaires à la disposition du gouvernement. Entre autres, l’on pourrait : renforcer les mécanismes d’approbation des médicaments en n’autorisant que les nouveaux médicaments offrant un avantage démontré par rapport aux pharmacothérapies actuelles; resserrer l’interdiction de la publicité directe aux consommateurs; réglementer directement la promotion des médicaments auprès des médecins; permettre au public d’examiner le processus d’approbation des médicaments; améliorer la surveillance post-commercialisation; et adopter une interprétation plus stricte du principe de précaution. Ces approches contribueraient à réduire la médicalisation de la santé des femmes. Bref, le gouvernement doit revoir son initiative et élargir sa perspective de la réglementation.

 

La science et la recherche

Le programme scientifique national constitue le deuxième volet du REE. En matière de recherche, les priorités du gouvernement sont rattachées au programme réglementaire. Autrement dit, le programme de recherche s’intéresse à la toxicologie, comme en témoignent les objectifs d’un atelier portant sur les PPSP, commandité par Santé Canada et Environnement Canada en février 2002. L’un des objectifs se lisait comme suit : « cerner les lacunes majeures sur le plan des connaissances scientifiques et déterminer les besoins d’évaluation et de gestion des risques au Canada45 ». Comme on pouvait s’y attendre, les priorités de recherche mises de l’avant par les participants reflétaient l’orientation préétablie (ex., obtenir des données scientifiques sur l’exposition aux PPSP et leurs effets; favoriser le développement d’un cadre réglementaire canadien, en harmonisation avec les organisations internationales46).

Au mieux, la recherche sur l’évaluation toxicologique est une activité à long terme. Mais en la plaçant au cœur du programme scientifique chargé d’examiner la présence de PPSP dans l’environnement, on exclut ou on marginalise d’autres recherches capables d’aboutir à des mesures immédiates et à moyen terme. À cet égard, Daughton souligne le fait bien documenté que pauvreté et malnutrition contribuent davantage à la mauvaise santé que l’absence de médicaments47. Si l’on réduisait certaines utilisations des médicaments, on améliorerait les résultats pour la santé. Au lieu d’objectifs étroitement techniques, il propose un cadre de promotion de la santé qui encouragerait l’industrie et le public à établir un consensus et à adopter un état d’esprit culturel favorable à la « responsabilité environnementale holistique ». Grâce à une approche multidisciplinaire, on pourrait élargir le programme scientifique et le sortir du cadre de la chimie analytique48. En outre, un ensemble de principes cohérents et scientifiquement valables permettrait alors d’orienter l’emballage, la distribution et la fourniture de PPSP, et l’on pourrait adopter rapidement bon nombre de ces principes49. Par exemple, il serait possible de réduire la posologie en s’appuyant sur des études montrant que la dose efficace de certains médicaments peut être inférieure à ce qu’on croyait. La réduction des doses entraînerait alors la réduction des effets indésirables, dont la mortalité, et minimiserait le potentiel d’effets sur l’environnement50. Une enquête sur l’élimination des médicaments a estimé que le coût annuel du gaspillage de médicaments, en Ontario, s’élevait à plus de 40 millions de dollars et était attribuable, en bonne partie, aux personnes âgées, en majorité des femmes51. D’autres études ont montré que la durée de conservation de certains médicaments était supérieure à la date de péremption figurant sur l’emballage (dans des conditions d’entreposage idéales), d’où des économies substantielles sans risque pour la santé52. Les mêmes principes scientifiques pourraient guider les actions des consommateurs. Comme le dit Daughton, certaines actions exigeraient peu de recherche, d’autres obligeraient à revoir les lois et règlements relatifs au recyclage et à l’élimination des médicaments et d’autres encore demanderaient des recherches plus approfondies. (Mentionnons que l’auteur souligne les avantages des initiatives volontaires, tant de la part de l’industrie que des consommateurs. Si certains programmes volontaires sont efficaces, je crois que de nombreux objectifs ne seront atteints qu’au moyen de règlements, mais des règlements qui vont au-delà de l’évaluation toxicologique.

Remplacer les interventions pharmaceutiques habituelles par des approches complémentaires et parallèles, et les ingrédients synthétiques entrant dans la fabrication des produits de soins personnels par des substances qui existent à l’état naturel, pourrait avoir des conséquences appréciables, selon le D r Warren Bell53. Bon nombre d’approches parallèles n’ont aucune incidence sur l’écosystème (ex., thérapies manuelles, méthodes traitant le corps et l’esprit) et certaines ont des effets minimes (ex., homéopathie, modification du mode de vie). D’autres entraînent probablement des effets limités ou, du moins, supposent la simple redistribution de composés connus de la biosphère (ex., plantes médicinales, sels d’Epsom, suppléments et traitements vitaminiques et minéraux), eux-mêmes souvent considérés comme nettement bénéfiques ou neutres », explique le D r Bell. Une meilleure sensibilisation aux effets environnementaux des PPSP servirait peut-être de catalyseur à l’examen des effets thérapeutiques et environnementaux des médicaments complémentaires, dont certains sont hautement bioactifs, notamment les plantes médicinales et les suppléments nutritionnels54.

Cette brève évaluation ne donne que des pistes de recherche pour un éventuel programme recentré, fondé sur un cadre plus vaste et favorable à la promotion de la santé et de l’écologie55.

Éducation publique

Le troisième volet du REE comprend des initiatives d’éducation et de participation publiques56. L’Enquête de référence sur le projet REE, réalisée pour le compte de Santé Canada en 2002, laisse croire que l’élimination des produits domestiques sera au centre des efforts du projet en matière d’éducation. L’enquête a évalué les attitudes des consommateurs à l’égard de l’élimination des déchets, dont les médicaments et d’autres PPSP. À l’heure actuelle, la Colombie-Britannique, l’Alberta et la Saskatchewan ont mis en œuvre des programmes de récupération des médicaments inutilisés57, mais leur promotion laisse à désirer et la diversité des mesures d’enlèvement des déchets dans les provinces a ralenti l’élaboration d’un programme de récupération national.

Si les habitudes en matière d’élimination des déchets domestiques constituent une cible évidente de changement, il ne s’agit pas pour autant de prévention primaire – un but avoué du REE. Les programmes éducatifs visant à inculquer des pratiques exemplaires doivent promouvoir activement l’utilisation réduite des PPSP58. Un programme visionnaire, comme celui de la pharmacie verte, pourrait séduire l’imagination du public et encourager la participation à un vaste programme d’utilisation réduite.

Depuis les événements de Walkerton, le public canadien se préoccupe de l’eau et sait que la salubrité de l’eau est fondamentale à la bonne santé. La couverture médiatique a créé une période propice à l’apprentissage, où le public est réceptif à l’analyse des enjeux et à la recherche de solutions59. La menace de l’eau contaminée est effrayante et entraîne un sentiment d’impuissance devant la diminution de ressources essentielles à la vie. L’élaboration de messages et de programmes éducatifs qui ne minimisent pas l’importance des risques, mais ne tombent pas non plus dans le sensationnalisme, exige une bonne dose de réflexion.

On peut faire beaucoup dès maintenant et à court terme. Une certaine utilisation des médicaments est nécessaire à la bonne santé, mais bon nombre d’utilisations sont inadéquates et néfastes. Il faut mettre un terme aux pratiques des entreprises qui consistent à promouvoir une utilisation des médicaments qui ne s’appuie pas sur des données scientifiques. C’est le cas de la publicité directe aux consommateurs60 , et les séminaires à caractère commercial qui visent à encourager les emplois non conformes. Il faudrait multiplier les initiatives d’éducation visant à promouvoir la santé par une meilleure alimentation61. Les programmes éducatifs reconnaissant que les femmes jouent au sein de la famille un rôle d’éducation et de contrôle d’accès aux PPSP pourraient largement contribuer à la réduction de l’utilisation des médicaments. Les femmes connaissent les enjeux de la médicalisation , étant donné leur exposition à des médicaments tels que l’HTS, et accordent une grande valeur à la santé et à l’environnement. C’est pourquoi un programme à caractère scientifique dont le but viserait à améliorer la santé des familles tout en économisant de l’argent et en protégeant l’environnement serait à même de dégager des résultats rapides.

L’éducation du public au sujet des PPSP dans l’eau potable comporte des enjeux semblables à ceux de l’éducation des femmes qui allaitent au sujet des contaminants chimiques dans le lait maternel. Inquiètes de la présence de médicaments et autres produits chimiques dans l’eau, certaines personnes éviteront peut-être de boire de l’eau ou achèteront des systèmes de filtration domestique coûteux et de l’eau en bouteille, elle-même pouvant être contaminée. Penny Van Esterik, dans son analyse de la communication des risques d’allaitement, souligne l’importance de placer l’enjeu dans un vaste contexte environnemental, de sorte que l’objectif soit de réduire la pollution, et non de s’abstenir d’allaiter62. L’éducation publique concernant la présence de médicaments dans l’eau exige une perspective aussi vaste. Voici quelques questions utiles au débat public : quelles sont les solutions possibles? lesquelles faut-il favoriser? lorsque les parties en présence ne sont pas d’accord, qui décide?

 

La participation publique et le processus de consultation du REE

Avec la publication de sa déclaration d’intention, Santé Canada a signifié son engagement à l’égard du processus de consultation auprès des intervenants dans l’élaboration de la nouvelle réglementation. Jusqu’ici, des réunions ont eu lieu au cours desquelles on a expliqué le REE aux employés du gouvernement, aux intervenants de l’industrie et aux membres d’organismes non gouvernementaux s’intéressant à la santé et à l’environnement. Une enquête de « référence » réalisée auprès de 1 512 Canadiens a permis de déterminer les attitudes répandues et les habitudes en matière d’élimination des produits. Enfin, le public peut se renseigner et intervenir par l’intermédiaire d’un site Web, de bulletins et d’une ligne d’information servant à diffuser l’information et à enregistrer les réactions.

Malgré l’engagement du REE à l’égard de la participation publique, les consultations ont principalement visé les intervenants de l’industrie et n’ont pas réussi englober le public ni les ONG. Plutôt que d’amener le public à participer véritablement à un débat plus vaste, les discussions avec le public ont essentiellement porté sur la réglementation proposée.

La participation publique s’est limitée, grosso modo, aux groupes d’intervenants. En février 2003, seize ONG canadiennes ont accepté l’invitation de participer à un atelier d’une journée organisé par Santé Canada. À l’occasion d’une réunion regroupant plusieurs intervenants en février dernier, il ne restait que quatre ONG (et trois représentants du Comité de consultation publique nommé par le gouvernement et composé de consommateurs qui formulent des recommandations à l’intention de la Direction générale des produits de santé et des aliments). On comptait environ soixante-dix représentants du gouvernement et de l’industrie, plus précisément des ministères de l’Environnement et de la Santé, et des grandes sociétés pharmaceutiques et biotechnologiques. L’ordre du jour était fixé d’avance, et les réunions consistaient en des présentations PowerPoint et des discussions dirigées portant sur le « document de travail » de la détermination des enjeux. Aux deux réunions, le discours opaque de l’évaluation des risques et de la réglementation a nui à la participation des ONG en ce qu’il présentait le problème et le processus en termes pertinents pour l’industrie et le gouvernement.

Les enjeux du REE posent problème aux ONG. Historiquement, la recherche, la réglementation et les politiques en matière de santé et d’environnement ont évolué dans des silos distincts et, cela étant, la plupart des ONG ont privilégié les enjeux de la santé ou de l’environnement, mais pas les deux. Il y a quelques exceptions, notamment le Women’s Healthy Environment Network, la Canadian Coalition for Green Health Care et, aux États-Unis, l’organisme Health Care Without Harm63. La plupart des ONG ont besoin de ressources additionnelles pour pouvoir aborder avec compétence l’interaction entre la santé et l’environnement.

Si la protection de la santé et de l’environnement doit prendre le pas sur les questions de commerce, la participation des groupes voués à la défense de la santé et de l’environnement est cruciale. Toutefois, pour les ONG qui fonctionnent avec des budgets et des effectifs réduits, les consultations publiques du REE organisées en 2002 et 2003 n’étaient pas une priorité. Les groupes de santé et d’environnement expérimentés ont reconnu dans les consultations REE une situation familière. Les ONG n’ont été invitées qu’à deux réunions et on s’attendait qu’elles étudient sans aide des documents que l’on aurait dit écrits à l’intention d’avocats spécialisés par leurs homologues gouvernementaux. On n’a fourni aucune ressource financière aux groupes qui voulaient analyser les conséquences du REE sur la santé publique ou se rencontrer afin d’établir une position commune par rapport aux enjeux du REE. Les représentants de l’industrie, en revanche, ont eu droit à plus de 40 réunions avec le gouvernement à compter de mai 2002 et, dans leur milieu de travail, ils ont abondamment discuté du REE. La réunion prévue pour septembre 2003, censée faire avancer le dossier scientifique, sera réservée à des scientifiques invités64.

 

LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION

La salubrité de l’eau est si fondamentale à la vie que des ruisseaux et des cascades symbolisent la force de vie. En outre, l’eau douce devient une ressource rare et convoitée. Devant l’incertitude des effets des PPSP sur l’environnement, la prudence exige que nous traitions la présence de PPSP dans l’eau comme un problème urgent qui appelle des mesures à court, moyen et long terme.

En vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, puis dans le cadre du REE, le gouvernement fédéral affirme l’engagement du Canada envers le principe de précaution65. Bien souvent, la science ne permet pas de prendre une décision pleinement éclairée. C’est pourquoi le principe de précaution oblige les gouvernements, en présence de preuves scientifiques partielles, à faire pencher les politiques du côté de la protection de la santé et de l’environnement. Plutôt que de demander au gouvernement de démontrer la certitude d’un danger avant de limiter l’utilisation d’un produit, le principe de précaution invite l’industrie à faire la preuve de l’innocuité d’un produit avant de le commercialiser. Le gouvernement canadien « a l’obligation internationale de mettre en œuvre le principe de précaution », mais un examen attentif des documents du REE révèle un compromis qui affaiblit le principe quant à la protection de la santé et de l’environnement.

Les défenseurs de l’environnement et de la santé ont fait valoir le principe de précaution pour faire obstacle aux pratiques de gestion du risque sur lesquelles se fondent maintenant le processus décisionnel du gouvernement. Le principe de précaution exhorte les gouvernements à réduire l’utilisation de technologies potentiellement dangereuses, même si les économies nationales risquent ainsi de s’exposer à des pertes à court terme66. On peut lire dans un document du REE que le Canada favorise un « principe de précaution qui se distingue dans la gestion des risques fondée sur la science67 ». En incorporant le principe de précaution dans la gestion des risques, on soumet l’impératif de précaution aux intérêts économiques. Mais il serait possible, suivant une autre stratégie d’évaluation68, de reconnaître que la mise au point d’une industrie technologique « propre » est un moyen de réaliser des gains économiques directs et indirects. Avec une telle vision, le Canada pourrait prendre la tête du développement de politiques et de technologies écologiques en matière de PPSP, combinant sa compétence bien établie en matière de politique favorable à la santé avec un programme scientifique « vert » axé sur l’avenir.

Comme le reconnaît le document final sur la détermination des enjeux du REE, le principe de précaution « est, au bout du compte, orienté par le jugement, en fonction des valeurs (niveaux acceptables de risque)69 ». Les questions suivantes surgissent forcément : le jugement de qui? les valeurs de qui? Pour un fabricant désireux de commercialiser son nouveau produit, une exigence de contamination nulle peut paraître trop exigeante, alors que la femme enceinte ne voudra rien de moins.

Par tradition, les valeurs canadiennes ont privilégié le bien-être public par rapport au gain individuel. Sans consultations publiques adéquates, il est impossible de déterminer le niveau de risque acceptable pour le public canadien en matière de PPSP. L’enquête gouvernementale que les hommes et les femmes, mais plus particulièrement les femmes, ont à cœur la protection de la santé et de l’environnement. Avant de décider quoi que ce soit, le public doit prendre connaissance, dans une langue claire, de l’ensemble des solutions possibles et avoir l’occasion d’en débattre. Les consultations publiques devraient systématiquement demander le point de vue des femmes et d’autres sous-populations vulnérables.

 

Conclusion

Le projet de Règlement d’évaluation environnementale (REE) du gouvernement propose des solutions réglementaires étroites à un vaste problème d’écosystème. La consultation publique a été inadéquate et les priorités ont été déformées de manière à favoriser les préoccupations commerciales des représentants du gouvernement et de l’industrie. Les préoccupations en matière de santé publique, surtout la prévention par la réduction de l’utilisation des PPSP, sont curieusement reléguées au second plan, quand elles ne sont pas carrément absentes. Un programme holistique de promotion de la santé, mettant l’accent sur la prévention primaire, est nécessaire pour répondre à cette menace émergente pour la santé et l’environnement. Un programme efficace et équitable pour le changement saura reconnaître la relation culturelle particulière qui existe entre les femmes et les produits pharmaceutiques et les produits de soins personnels, ainsi que la vulnérabilité des femmes à certains produits chimiques dans l’environnement. Un modèle existant, celui de la gestion d’une pharmacie verte, offre une vision globale que l’on pourrait facilement adapter aux besoins canadiens.

 

Recommandations

 

Sharon Batt, chercheure et militante en santé, est établie à Halifax. Elle siège au comité directeur d’Action pour la protection de la santé des femmes et fait partie de la coalition indépendante Prevention First. De 2001 à 2003, elle a été titulaire de la chaire Elizabeth May en santé des femmes et environnement du Atlantic Centre of Excellence for Women’s Health, à l’Université Dalhousie. Poursuivant actuellement des études de doctorat dans cet établissement, elle s’intéresse à l’éthique de la recherche et de la politique scientifique.

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Notes

1 J’ai rédigé le présent document pour Action pour la protection de la santé des femmes pendant que j’étais titulaire de la chaire Elizabeth May en santé des femmes et environnement, au Atlantic Centre of Excellence for Women’s Health, à l’Université Dalhousie. Pour leurs commentaires éclairés, je tiens à remercier Wendy Armstrong, Warren Bell, M.D., Anne Rochon Ford, Brewster Kneen, Joel Lexchin, M.D., Abby Lippman, Ph.D., et Ellen Reynolds d’Action pour la protection de la santé des femmes. J’assume la responsabilité entière de toutes les opinions exprimées et des erreurs qui ont pu se glisser dans le texte.

2 Par exemple : Laghi, Brian, Pharmaceuticals found in Canada’s water system. Globe and Mail, 5 sept. 2001, A1; Dennis Beuckert, Drugs in tap water health risk. Chronicle Herald (Halifax) 5 sept. 2001, A1; Mittelstaedt, Martin, Drug traces found in cities’ water, Globe and Mail, 10 fév. 2003, A1.

3 Par exemple : Bruce Pauli, « Impact of endocrine disrupting compounds on amphibian health in agricultural ecosystems »; et Chris Metcalfe, « Pharmaceutical Drugs in Canadian Surface Waters: Distribution and Effects on Fish », présenté à l’Initiative de recherche sur les substances toxiques, Ottawa, 5-8 mars 2002.

4 Il serait plus juste de parler de produits pharmaceutiques, de produits de soins personnels et de produits alimentaires afin d’inclure les additifs et les aliments génétiquement modifiés mais, par convention, on parle de PPSP.

5 Règlement sur l’évaluation environnementale, Avis d’intention, Gazette du Canada, partie 1, 1 er sept. 2002. www.hc-sc.gc.ca/ear-ree/noi_f.html

6Document final sur la détermination des enjeux : Règlement sur l’évaluation environnementale, Ottawa, 2003, p. 5 www.hc-sc.gc.ca/ear-ree/html.

7 Ibid, p. 3.

8 Ibid, p. 38.

9 Ibid, p. 36.

10

11 Document sur la détermination des enjeux : Règlement sur l’évaluation environnementale, Ottawa, 2003 et Document final sur la détermination des enjeux, Ottawa, 2003.

12 Ibid, p. 3-4.

13Bulletin d’information REE, vol. 1, n o 1, printemps 2002, p. 2.

14 PPCP’s as Enviromental Pollutants: Frequently Asked Questions from the Public, Media and Scientific Communities. US Environmental Protection Agency, p. 4. www.epa.gov/nerlesd1/chemistry/pharma/faq.htm

15 Montague, Peter. Drugs in the Water. Rachel’s Environmental and Health Weekly, n o 614, septembre 2003, 1998. www.rachel.org/bulletin/bulletin.cfm?Issue_ID=501

16 Daughton, CG. Cradle-to-cradle stewardship of drugs for minimizing their environmental disposition while promoting human health. II. Drug disposal, waste reduction, and future directions. Environmental Health Perspectives: 111 (5), 15 mai 2003, p. 777.

17 Ibid, p. 775-785.

18Document final sur la détermination des enjeux, p. 15.

19 19 Foire aux questions, Règlement sur l’évaluation environnementale, p. 5.

20 Voir, par exemple, Kathryn Pauly Morgan, « Contested Bodies, Contested Knowledges: Women, Health and the Politics of Medicalization ». In S. Sherwin (coordonnateur) The Politics of Women’s Health, Philadelphie, Temple University Press, 1998, p. 83-121.

211 J. Houlihan, C. Brody, B. Schwan. Not Too Pretty: Phthalates, Beauty Products & the FDA, juillet 2002 www.nottoopretty.org

22 Daughton, 2002, p. 38.

23 F&DA Product Disposal Survey, COMPAS 2002. Appendix on Demographic Variations (Gender).

24 Daughton, 2003, op cit, p. 781.

25 De nombreux analystes en santé et en environnement ont souligné et expliqué les raisons de cette différence. Voir, par exemple, Miriam Wyman, dans Sweeping the Earth: Women Taking Action for a Healthy Climate, Miriam Wyman (éd.), Charlottetown : Gynergy Books, 1999, p. 16-25 et Joni Seager, Earth Folies: Coming to Feminist Terms with the Global Environmental Crisis, NY: Routledge, 1993, p. 9-12. Appuyant ces analyses, une enquête menée par le CRIC et le Globe and Mail, en juin 2003, a montré que les jeunes femmes sont systématiquement plus sensibilisées aux enjeux sociaux que les jeunes hommes.. www.theglobeandmail.com/servlet/story/RTGAM.20030611.nblow0611/ BNStory/SpecialEvents3/ - 51k – 24 juin 2003/

261Enquête de référence sur le projet de règlement d’évaluation environnementale, op. cit., Annexe.

27 Colburn, T, D Dumanoski et J P Meyers, Our Stolen Future. NY: Dutton, 1996, p. 205; DES Action Canada. Alerte à la pollution hormonale, 2001, p. 2.

281 Voir Steingraber, Sandra. Human Breast Milk Contamination Detection of Monocyclic Aromatic Amines, Possible Mammary Carcinogens, in Human Milk. Cornell University Program on Breast Cancer and Environmental Risk Factors in New York State (BCERF). The Ribbon, vol. 4, n o 3, automne 1999. http://envirocancer.cornell.edu/Newsletter/Genderal/v4i3/rc.milk.cfm; DeBruin, L.S., Pawliszyn, J.B., et Josephy, P.D., Detection of monocyclic aromatic amines, possible mammary carcinogens, in human milk, Chemical Research in Toxicology 12: 78-82, 1999.

291 GOA. Drug Safety: Most Drugs Withdrawn in Recent Years Had Greater Health Risks for Women. Washington, DC: General Accounting Office, GOA 01-286R; Fuller, Colleen. Women and Adverse Drug Reactions: Reporting in the Canadian Context. Document de travail préparé pour Action pour la protection de la santé des femmes, mars 2003.

301 Le Bureau pour la santé des femmes de Santé Canada a élaboré un programme de formation visant à inclure l’analyse comparative entre les sexes dans tous les travaux et politiques de Santé Canada. www.hc-sc.gc.ca/français/femmes/acs.htm

311 Voir, par exemple, Prabha, Khosla et Rebecca Pearl, Untapped Connections. Gender, Water and Poverty: Key Issues, Government Commitments and Actions for Sustainable Development . New York: Women’s Environmental & Development Organization (WEDO), 2003. (www.wedo.org).

321 Voir les documents publiés à : http://www.epa.gov/nerlesd1/chemistry/ppcp/greenpharmacy.htm

331 LCPE et NSNR, voir la page intitulée « Why is Health Canada Developing new regulations? », sur le site www.hc-sc-gc.ca/ear-ree

341 Règlement sur l’évaluation environnementale, Avis d’intention, Gazette du Canada, partie 1, 1 er sept. 2002. www.hc-sc.gc.ca/ear-ree/noi_e.html

351FAQ – Règlement sur l’évaluation environnementale, septembre 2002. Accédé le 2 février 2003, à www.hc-sc.gc.ca/ear-ree/faq_f.html

361 Voir, par exemple, Les médicaments prennent-ils notre santé à coeur? La prévention de la maladie : Les médicaments sont-ils la solution? et Qui en profite? L’harmonisation internationale de la réglementation des nouveaux médicaments sur le site Web d’Action pour la protection de la santé des femmes.

371Document final sur la détermination des enjeux, p. 40.

381Qui en profite? L’harmonisation internationale de la réglementation des nouveaux médicaments. Action pour la protection de la santé des femmes, en collaboration avec DES Action Canada, 2002.

391Document final sur la détermination des enjeux, p. 46.

401 Voir, par exemple, Workshop Proceedings - The Gender of Genetic Futures: The Canadian Biotechnology Strategy, Women and Health, www.cwhn.ca et Anne Rochon Ford, Les conséquences de la biotechnologie et du génie génétique sur la santé des femmes, préparé pour le Groupe de travail sur les femmes, la santé et la nouvelle génétique, février 2001.

411Document final sur la détermination des enjeux, op. cit., p. 29.

421 Daughton, 2002, p. 3.

431 Daughton, 2002, p. 12.

441 Daughton, 2002, p. 17-19.

451 Évaluation et gestion des produits pharmaceutiques et de soins personnels dans l’environnement au Canada : Un agenda scientifique national. Bulletin d’information REE, vol. 1, n o 1, printemps 2002, p. 3.

46 « Workshop Conclusions », tirées d’une présentation PowerPoint intitulée Science and Research, publiée sur le site www.hc-sc.gc.ca/ear-ree

471 Daughton, op. cit., 2002, p. 30.

481 Daughton, Environmental Stewardship of Pharmaceuticals: the Green Pharmacy. Présentation Powerpoint de la National Groundwater Association 3 rd International Conference on Pharmaceuticals and Endocrine Disrupting Chemicals in Water, Minneapolis, MN, 19-21 mars 2003, diapo 5. www.epa.gov/nerlesd1/chemistry/ppcp/conference-past.htm.

491 Ibid, p. 9.

501 Ibid, p. 41-42.

511 Boivin, M. 1997. The cost of medication waste. Can Pharm J. mai, p. 32-39. Voir Http://www.napra.org/practice/toolkits/toolkit9/wastecost.pdf. Cité dans Daughton, 2003, p. 781.

521 Ibid, 54.

531 Communication personnelle, 26 juin, 2003.

541 Daughton, op. cit., 2002, p. 39-40.

551 Pour une revue complète des idées de recherche sur la pharmacie verte de C.G. Daughton, voir les articles parus dans Environmental Health Perspectives, novembre 2002 et mai 2003, et la présentation Powerpoint intitulée Environmental Stewardship of Pharmaceuticals: the Green Pharmacy de la National Groundwater Association, présentée à la 3 rd International Conference on Pharmaceuticals and Endocrine Disrupting Chemicals in Water, Minneapolis, MN, 19-21 mars 2003. www.epa.gov/nerlesd1/chemistry/ppcp/conference-past.htm.

561Document final sur la détermination des enjeux, p 5.

571 ANORP, Pharmacy Practice: Recycling and Disposal of Dispensed Drugs, Ottawa, Ontario: National Association nationale des organismes de réglementation de la pharmacie, Canada, 2002. http://www.napra.org/practice/toolkits/pharm-toolkit9.html.

581 Daughton, op. cit., 2002, p. 48-49, 55-56.

591 Ibid, p. 15.

601 Voir Mintzes, Barbara. La publicité directe aux consommateurs des médicaments d’ordonnance : Quant la protection de la santé n’est plus une priorité. Montréal : DES Action Canada et Action pour la protection de la santé des femmes, 2001.

611 Daughton, op. cit, 2003, p 777.

621 Van Esterik, Penny. Risks, Rights and Regulations: Communicating about Environmental Risks and Infant Feeding, 2002. www.yorku.ca/nnewh

631 Voir, par exemple, WHEN www.web.net/~when/ ; the Canadian Coalition for Green Health Care www.greenhealthcare.ca/index2.htm; et Health Care Without Harm www.noharm.org .

641 Cette évaluation repose sur les observations de l’auteure aux réunions de mai 2002 et février 2003, dont les discussions ayant eu lieu aux réunions et, par la suite, avec les ONG et les participants du gouvernement et de l’industrie.

651 Document final sur la détermination des enjeux, p. 40-41.

661 Voir, par exemple, O’Brien, Mary. Making Better Environmental Decisions: An Alternative to Risk Assessment. Cambridge, MA: MIT Press, 2000.

671Document final sur la détermination des enjeux, p. 38.

681 67 O ’ Brien , M. op. cit., p. 3-15.

691 Op. cit, p 38.

 

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