La publicité directe aux consommateurs des médicaments d'ordonnance :

Quand la protection de la santé n'est plus une priorité

par Barbara Mintzes et Rosanna Baraldi

 

Au Canada, comme dans la grande majorité des pays industrialisés, la publicité directe aux consommateurs des médicaments d'ordonnance est interdite. Depuis 1998, Santé Canada travaille à la transformation des lois fédérales visant la protection de la santé, incluant la Loi sur les aliments et drogues. L'un des changements proposés concerne la légalisation de la publicité directe aux consommateurs des médicaments d'ordonnance.

Pourtant, au plan public, les discussions concernant les effets d'une telle politique sur la santé publique, sur les budgets des soins de santé ainsi que sur la santé des femmes, ont été très limitées. Vous trouverez ici un résumé des principales données connues sur les effets de la publicité directe aux consommateurs, un aperçu des enjeux sociaux posés par cette problématique ainsi que des recommandations politiques visant à promouvoir la santé des femmes dans une perspective d'égalité.

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Pourquoi continuer d'interdire la publicité directe aux consommateurs des médicaments d'ordonnance?

La publicité vise à faire augmenter les ventes. Entre 1991 et 1999 aux États-Unis, les dépenses en matière de publicité directe des médicaments d'ordonnance sont passées de 55 millions US $ à 1,8 milliards US $, une croissance impressionnante. Tout porte à croire que cette forme de publicité rapporte.

Toujours aux États-Unis, les dépenses en matière de médicaments d'ordonnance sont passées de 50,6 milliards US $, en 1993, à 93,4 milliards US $, en 1998, soit une augmentation de 84 %. Quatre catégories de médicaments sont responsables de 30,8 % de cette augmentation : les antihistaminiques oraux pour traiter les allergies, les antidépresseurs, les médicaments servant à diminuer le taux de cholestérol et les médicaments pour le traitement des ulcères. Sept des dix médicaments ayant fait l'objet d'une publicité massive en 1998 se retrouvent dans ces catégories.

Cela signifie que la publicité directe aux consommateurs pourrait être associée à une augmentation de plus de 13 milliards US$ des dépenses consacrées à l'achat de médicaments en 1998. En 1999, les deux tiers de l'augmentation des dépenses pour des médicaments d'ordonnance aux États-Unis sont attribuables à 25 médicaments ayant fait l'objet des campagnes publicitaires les plus intensives.

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Publicité illégale et risquée pour les femmes

Automne 1999, Montréal : La compagnie Berlex organise une vaste campagne de publicité pour son produit contre l'acné Diane-35

Les compagnies pharmaceutiques enfreignent la loi canadienne

Depuis 1997, année où les États-Unis ont assoupli leur législation sur les publicités à la télévision et à la radio, la population canadienne est exposée massivement à la publicité américaine des médicaments d'ordonnance. Notre gouvernement ne prend aucune mesure pour faire respecter la loi canadienne : les stations diffusant sur le câble en territoire canadien auraient du être tenues d'éliminer les publicités illégales selon la loi canadienne.

Depuis l'automne 1999, plusieurs médicaments d'ordonnance ont fait l'objet de publicité directe aux consommateurs dans les grandes villes canadiennes. Outre Diane-35, le contraceptif oral Alesse fait l'objet d'une vaste campagne publicitaire.

Alesse : Dans cette campagne publicitaire, on propose aux jeunes filles de cultiver une image «cool». Plusieurs messages différents mais similaires au plan graphique et visuel sont présentés sous le thème de la «leçon» (le terme anglais est «lesson») faisant ici directement référence à la sonorité du nom du produit Alesse. Par exemple, on peut lire sur l'un des panneaux publicitaires : «A lesson in guys. Never play hard to get. Be hard to get». Cette «lesson» fera certainement augmenter les ventes d'Alesse.

Avec ces publicités, les compagnies pharmaceutiques défient la loi, et Santé Canada ne prend pas les mesures nécessaires pour la faire respecter. Malgré des plaintes déposées en bonne et due forme et les pressions de plus de 20 regroupements de consommateurs et de consommatrices demandant au ministre de faire respecter la loi, la publicité a continué.

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Santé Canada ferme les yeux sur les publicités illégales diffusées par les compagnies pharmaceutiques

Depuis 1998, Santé Canada travaille à la transformation d’une série de lois fédérales concernant la protection de la santé publique. Dans ce projet, la Loi sur les aliments et drogues serait abolie et intégrée à une nouvelle loi plus large, une loi sur la protection de la santé. L'un des changements proposés est la légalisation de certaines formes de publicité directe aux consommateurs des médicaments d'ordonnance.

En cours de processus, mais sans débat public démocratique, notre gouvernement a cessé de faire respecter la loi toujours en vigueur et affirme que certains types de publicités destinées au grand public seraient légales au Canada.

Il s'agirait :

Ces affirmations à l'effet que ces types de publicités seraient légales semblent s'appuyer sur deux éléments clés :

  1. La confusion entre un matériel éducatif et un message publicitaire, comme si la publicité pouvait fournir une information impartiale et équilibrée ;
  2. Un amendement à la Loi sur les aliments et drogues adopté en 1978 afin de permettre aux pharmaciens d'afficher les prix des médicaments et aux consommateurs de bénéficier de prix concurrenciels.

La Loi sur les aliments et drogues interdit complètement la publicité directe aux consommateurs des produits qui préviennent ou traitent certaines maladies graves, ainsi que la publicité des médicaments d'ordonnance. La seule exception à cette interdiction globale est l'affichage du nom du produit et de son prix en fonction du nombre de comprimés ou de la posologie. La loi spécifie clairement qu'il s'agit d'une exception clairement définie et limitée :

Section C.01.044 :«Quiconque fait de la publicité auprès du grand public d'une drogue mentionnée à l'annexe F doit ne faire porter la publicité que sur la marque nominative, le nom propre, le nom usuel, le prix et la quantité de la drogue».

En outre, soulignons qu'un document de discussion publié par Santé Canada en avril 1999 affirmait clairement : «Cette modification devait permettre aux consommateurs de comparer plus facilement les prix».

Il n'existe rien dans la Loi sur les aliments et drogues ou dans les réglementations qui y sont associées qui permette d'affirmer que les annonces de rappel et les annonces de recherche d'aide sont désormais légales. La Loi définit la publicité de façon large de manière à proscrire toute activité de promotion directe ou indirecte qui favoriserait la vente d'un médicament.

Par ailleurs, comment une annonce de «recherche d'aide» peut-elle être confondue à une activité éducative. Si un message est une «annonce de recherche d'aide», il s'agit bien d'une annonce et non d'une information visant l'éducation. N'est-il pas évident qu'un fabricant paiera pour un espace publicitaire qui vous suggérera de «demander à votre médecin quelles sont les diverses options pour maigrir disponibles maintenant» seulement s'il a un produit à vendre. Une compagnie pharmaceutique ne clamera jamais «renseignez-vous auprès du centre sportif de votre quartier sur l'équipement disponible maintenant» même si l'exercice physique surpasse largement les bénéfices fort questionnables des produits destinés à la perte de poids.

L'Organisation mondiale de la santé a élaboré une série de critères visant un marketing éthique des produits pharmaceutiques. Ces lignes directrices indiquent clairement que la publicité ne doit pas être déguisée et présentée comme une activité éducative. Depuis 1988, le Canada a régulièrement appuyé ces lignes directrices et a adopté des résolutions exhortant les gouvernements nationaux à les mettre en application. Que penser de cette attitude de notre gouvernement qui appuie des principes éthiques dans l'arène internationale mais qui ne les applique pas à l'échelle nationale ?

Santé Canada ne fait pas respecter adéquatement la Loi sur les aliments et drogues. Cela affaiblit les mesures protectrices liées au fait qu'un médicament ne peut être délivré que sous ordonnance. Si le gouvernement du Canada veut changer la loi, il faut qu'un nouveau projet de loi soit soumis et discuté au Parlement. Il ne peut simplement décider qu'il ne fait plus respecter la loi en vigueur en proposant une sorte de ré-interprétation de la loi qui ne sert que les intérêts de l'industrie pharmaceutique.

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Publicité = Éducation et information
Un discours trompeur

Entre la fin de 1997 – année où la Food and Drug Administration (FDA — l'équivalent américain de Santé Canada) a assoupli sa réglementation — et la fin de 1998, 33 médicaments ont fait l'objet de publicités télévisuelles aux États-Unis. Sur ces 33 publicités, 17 — soit plus de 50 % — ont enfreint les règlements de la FDA. La plupart d'entre elles minimisaient les risques et exagéraient les avantages des médicaments. Certaines laissaient même entendre que le produit annoncé pouvait être utilisé à d'autres fins que celles pour lesquelles il avait été approuvé.

Pravachol: Bristol-Myers Squibb a présenté des athlètes féminines dans ses publicités sur le Pravachol pour promouvoir la capacité de ce produit de réduire les risques de crise cardiaque. La FDA a jugé qu'il s'agissait d'une publicité trompeuse puisque comme traitement des crises cardiaques, le Pravachol n'a jamais été testé sur des femmes.

Caverject : Récemment, la Food and Drug Administration s’est opposée à une publicité pour le Caverject — une solution de rechange au Viagra dans le traitement de l'impuissance — car le fabricant Pharmacia & Upjohn a omis de mentionner que ce produit doit être injecté dans le pénis.

Le nouveau médicament n'est pas nécessairement meilleur que l'ancien

Une compagnie pharmaceutique n'a pas à prouver qu'un nouveau médicament est supérieur aux médicaments déjà disponibles pour obtenir la permission de le mettre en marché au Canada. Elle n'a qu'à démontrer qu'il est plus efficace qu'un placebo (un comprimé de sucre) ou qu'il n'est pas moins efficace que les produits déjà sur le marché.

Le Patented Medicine Review Board a examiné 577 nouveaux médicaments brevetés qui ont été commercialisés entre 1991 et 1997. Seulement 50 d'entre eux (ou 8,7 %) représentaient de réelles avancées thérapeutiques et étaient nettement plus efficaces que les médicaments existants. Parmi les 527 médicaments restants, 287 (49,7 %) étaient des produits dérivés de produits déjà existants (posologie différente ou autres modifications mineures), tandis que les 240 autres (41,6 %) n'offraient qu'une amélioration thérapeutique modérée, modeste ou nulle.

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La publicité des médicaments destinée aux médecins au Canada : Normes laxistes, application médiocre

Les analyses des publicités destinées aux médecins au Canada révèlent qu'elles sont souvent trompeuses et que les risques des médicaments sont fréquemment minimisés alors que les bénéfices sont exagérés. Concernant les nouveaux médicaments, très peu d'études sont réalisées par des organismes indépendants. La plupart sont financées par les fabricants. Or, les analyses démontrent que les recherches financées par les compagnies pharmaceutiques comportent souvent un biais en faveur du fabricant.

Au Canada, la plus grande partie de la promotion des médicaments destinée aux médecins est réglementée par le secteur pharmaceutique lui-même. Rx&D, l'association qui regroupe les fabricants de médicaments d'origine, réglemente les activités des représentants qui sollicitent directement les médecins, les réunions commanditées, la distribution des échantillons gratuits et toute autre activité promotionnelle destinée aux médecins. Cette soi-disant réglementation n'exige aucune surveillance active ni correction d'erreurs dues à la désinformation. Quant aux amendes, elles vont de 1000 $ à 15000 $ par année, tout au plus — un coût minime pour des multinationales comparativement à ce que rapportera une publicité trompeuse.

Les publicités imprimées qui sont publiées dans les revues médicales et toutes les autres formes d'imprimés sont réglementées par le Conseil consultatif de publicité pharmaceutique (CCPP), un organisme semi-autonome qui regroupe des représentants de compagnies pharmaceutiques, d'agences de publicités, d'associations de professionnels de la santé et d'associations de consommateurs. Beaucoup trop laxistes, les normes du CCPP permettent aux compagnies pharmaceutiques d'utiliser les gros caractères dans la partie la plus colorée de l'annonce pour décrire les avantages potentiels des médicaments et de présenter les risques au moyen de minuscules notes de bas de page ou en les intégrant aux renseignements à l'usage des prescripteurs (qui se retrouvent généralement à la toute fin des publications en caractères minuscules).

En mai 2000, le CCPP a admis l'existence du problème et a demandé aux compagnies de présenter une information plus équilibrée sur les avantages et les risques des médicaments. Toutefois, ces vagues exigences ne précisent pas la grosseur des caractères à utiliser ni les renseignements sur certains types de risques qu'il faudrait inclure dans la publicité comme telle.

Le CCPP vérifie les publicités avant qu'elles ne soient diffusées et répond aux plaintes. Toutefois, même si une plainte est fondée et que la publicité se révèle effectivement mensongère ou inexacte, il n'y a aucun système en place pour avertir les médecins, les pharmaciens et les autres professionnels de la santé. On demandera seulement à la compagnie de cesser la diffusion de cette publicité. Le CCPP publie un bulletin d'information trimestriel qui dresse le bilan des plaintes fondées, mais il ne fait aucun effort particulier pour rejoindre ceux qui ont été trompés. Par ailleurs, cette façon de faire ne permet pas aux médecins et aux pharmaciens de se faire une idée de ce qui constitue une pratique acceptable ou inacceptable selon le code en vigueur au CCPP.

Les études visant à évaluer la pertinence des prescriptions effectuées par les médecins démontrent de façon constante que les médecins qui s'appuient davantage sur l'information provenant des activités promotionnelles ou des publicités prescrivent de manière moins appropriée.

Dans ces études, une ordonnance appropriée est définie comme étant une ordonnance qui prescrit un médicament pour l'état qu'il est censé traiter, un médicament ne comportant pas de risques inutiles, le moins cher des médicaments équivalents et la bonne posologie.

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La publicité du médicament EVISTA dans les journaux médicaux canadiens : Eli Lilly a dépassé toutes les limites

Pour une loi qui protégera la santé

Recommendations

  1. Les publicités directes aux consommateurs des médicaments d'ordonnance devraient être interdites compte tenu du manque de preuve quant à leurs avantages et des risques potentiels considérables qu'elles représentent pour la santé. La loi devrait interdire complètement la publicité, ce qui inclue tant le fait de mentionner le nom du produit que ses indications (approuvées). Elle devrait également interdire toute publicité visant clairement à stimuler les ventes d'un produit spécifique en mentionnant soit le nom du produit sans mentionner ses indications ou l'inverse, soit l'indication du produit sans en mentionner le nom. La loi devrait également s'appliquer à la diffusion de publicités provenant d'autres pays en territoire canadien.
  2. L'amendement de 1978 à la loi pour permettre aux pharmaciens d'afficher les prix des médicaments et aux consommateurs de les comparer doit être explicité en ce sens. Des critères rigoureux doivent être établis afin de définir précisément ce type d'information. En prenant exemple sur les propositions récentes faites par un comité australien, l'affichage des prix des médicaments doit éviter la confusion. Parmi les critères qui devront être établis, mentionnons : la taille de la typographie, le fait que l'information sur les prix doit présenter une liste de produits provenant de différents fabricants, le fait que cette information ne doit pas être associée à des articles traitant des substances présentes dans les produits, le fait que cette information ne doit pas être accompagnée d'illustrations ou d'images, le type de média où cette information peut être diffusée (excluant la télévision et la radio).
  3. La promotion des médicaments destinée aux médecins est une responsabilité d'ordre public, et elle ne devrait pas être auto-réglementée par le secteur pharmaceutique. Cette responsabilité devrait incomber à Santé Canada ou à un organisme autonome créé en vertu de la loi, qui n'aurait pas de lien de dépendance avec l'industrie pharmaceutique et le secteur de la publicité, qui serait autorisé de par la loi à surveiller activement le secteur et à faire observer les règles, notamment en se servant de sanctions et de mesures correctives, et qui disposerait de tous les moyens nécessaires pour assurer la transparence et l'imputabilité des activités et des prises de décision envers le public.
  4. Le principe sur la promotion des médicaments figurant dans la loi canadienne sur les aliments et drogues est fort valable (article 9 (1)). Il se lit comme suit : Il est interdit d'étiqueter, d'emballer, de traiter, de préparer ou de vendre une drogue — ou d'en faire la publicité — d'une manière fausse, trompeuse ou mensongère ou susceptible de créer une fausse impression quant à sa nature, sa valeur, sa composition, ses avantages ou sa sûreté. Ce principe doit être mis en application par voie de surveillance active et au moyen de réelles sanctions et mesures correctives en cas d'infraction et il doit être assorti d'une complète imputabilité de la prise de décision envers le public.
  5. La population canadienne doit avoir accès à de l'information à jour, exacte, complète et impartiale sur les avantages et les inconvénients des traitements offerts — qu'il s'agisse ou non de médicaments — en cas de maladie ou de problème de santé. Cet accès doit faire partie des services de santé publique. Pour assurer l'impartialité des renseignements, les fournisseurs d'information ne devraient avoir aucun lien financier avec les associations pharmaceutiques ou les fabricants des produits.
  6. Le Canada devrait appliquer la loi en s'appuyant sur les critères de l'OMS (Organisation mondiale de la santé) en matière d'éthique, lesquels stipulent que la promotion des médicaments doit respecter les politiques nationales en matière de santé sans tenter de se faire passer pour ce qu'elle n'est pas, c'est-à-dire, de l'information objective ou de la recherche scientifique.
  7. Compte tenu du problème de la médicalisation abusive de la santé des femmes et de la sur-prescription de médicaments psychotropes aux femmes, des représentantes des organismes voués à la défense des droits des femmes devraient siéger sur les comités appliquant la réglementation de la publicité destinée aux professionnels de la santé. Devraient être interdits: les messages adressés aux professionnels de la santé qui font la promotion de l'inégalité des sexes, qui ciblent les femmes de façon inappropriée ou qui encouragent une attitude irrespectueuse à l'égard des patientes.

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